DÉMEMBRÉE - REMEMBERED

DÉMEMBRÉE - REMEMBERED
Bansoa Sigam, curatrice et chercheuse suisse d’origine camerounaise spécialisée dans les arts et héritages d’Afrique
Espace de réhumanisation plurivocal, cette installation met en lumière les matrimoines, les héritages de femmes invisibilisées. Le titre évoque deux faces d’un héritage culturel déraciné de son écosystème d’origine. DÉMEMBRÉE insiste sur la fragmentation mémorielle, ainsi que sur la violence physique et symbolique du retrait d’éléments intimes du corps de femmes ; REMEMBERED se focalise sur la mémoire à reconstituer, le lien à rétablir, la transmission à assurer.

Bansoa Sigam met ici en dialogue les créations contemporaines de Lafalaise Dion et de Beya Gille Gacha avec des œuvres anciennes, dont certains des créatrices, Nkamoheng et Tlalane, sont identifiées, ce qui est rare dans les collections coloniales car elles sont majoritairement anonymes. La visite se déroule au rythme du poème sonore de Paloma Lukumbi, qui fait ré–émerger du gouffre des archives les rares noms de femmes à qui appartenaient les parures exposées.

Toute la collection Bertrand d'Afrique australe, dont seul un infime échantillon est ici présenté, peut être consulté sur la catalogue en ligne des collections du MEG.
https://www.ville-ge.ch/meg/sql/musinfo00.php?what=Bertrand&dpt=ETHAF&debut=0&bool=AND

Bansoa Sigam

Bansoa Sigam

Bansoa Sigam est une curatrice et chercheuse suisse d’origine camerounaise spécialisée dans les arts et héritages d’Afrique. Dans le cadre académique elle joue un rôle significatif pour l’enrichissement de la recherche sur les matrimoines. Prônant la reconnaissance des héritages de femmes africaines souvent invisibilisées, elle explore dans sa pratique curatoriale leurs empreintes tant historiques que contemporaines et met en lumière les contributions d’artistes du continent et de la diaspora.

DÉMEMBRÉE

Les lithethana (thethana au singulier) sont des parures qui incarnent la violence des processus de captation des éléments de l’intimité et de l’identité de femmes d’Afrique australe au tournant du 20e siècle. Ces parures, dont la fabrication nécessite une implication de plusieurs femmes, participent de la construction de l’identité individuelle mais aussi collective de jeunes filles de culture sesotho notamment. Au fil d’initiations, des rangées sont ajoutées, les fibres teintes, les parures sacralisées. Traditionnellement en lien symbiotique avec le corps, les parures évoluent en fonction du changement de statut et de la croissance de celles qui les portent. Elles sont au centre d’un système de cocréation d’un lien communautaire, et de transmission intergénérationnelle.

Dépouiller de leurs lithethana les filles et femmes à la période coloniale – cet acte de retrait des corps, fait dans des conditions rarement documentées peut être compris sous le prisme du démembrement : une action qui consiste à séparer des parties du corps, le morceler, l’immobiliser.

Bansoa Sigam


Venus Nigra

Beya Gille Gacha. 2017
Cire, perles de verre
Prêt de l’artiste

Ce buste a été conçu dans le cadre de la série « démembrements » évoquant la résilience de femmes aux destins brisés à qui l’on a ôté les outils nécessaires à l’autoréalisation, les bras qui servent à façonner, et la capacité d’avancer, les jambes qui permettent de marcher. Immobile, ce buste incarne pourtant la dignité, la grâce et la puissance face à l’adversité. B. Sigam

Beya Gille Gacha

Beya Gille Gacha est une artiste pluridisciplinaire née en 1990 à Paris, d’une mère camerounaise et d’un père français. Elle entre en 2011 à l’Ecole du Louvre, cependant Beya Gille Gacha est une artiste autodidacte qui conçoit sa pratique artistique comme un engagement dans une perspective intersectionnelle ; ainsi elle crée deux collectifs dont DES GOSSES, en 2016, avec les artistes Rakajoo et Neals Niat, qui questionne le manque de représentation des jeunes artistes afro-français à parcours singuliers.

En 2017, elle rejoint la Coalition des Artistes pour l’Histoire Générale de l’Afrique à l’UNESCO.

En 2024, on retrouve à nouveau son travail dans le IN de Biennale de Dakar, cette fois dans l’exposition Curator Choice nommée “On s’arrêtera quand la terre rugira”, et à la Biennale de sculptures Beelden Op de Berg, à Wageningen aux Pays-Bas.

Photographie © Lorenzo Piano

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Thethana

Porteuse et créatrice(s) anonymes
Afrique du Sud, Lesotho. Origine attribuée : Sesotho
Fin du 19e – début du 20e siècle
Fibres végétales de tsikitlane (Gazania serrulata)
Collection Alice et Alfred Bertrand
MEG Inv. ETHAF 018131

Les archives de l’époque indiquent qu’un thethana comme celui–ci n’était pas porté seul, mais recouvert par d’autres vêtements comme une couverture ou une jupe. La quantité importante de ces pièces présentes dans plusieurs collections missionnaires témoigne d’une période intense de transformation sociétale en Afrique australe. Parmi la dizaine d’exemplaires présentés ici, seul le nom de Mery-Jane Mohlaka est connu, les autres porteuses et créatrices restent, comme souvent, anonymes. B. Sigam

RELIER

On s’immerge au cœur de l’installation pour y découvrir une figurine perlée ngwana sehô sous une coiffe protectrice de cauris. Elle constitue une trace mémorielle tangible de la séparation subie par la femme à laquelle elle était destinée. Ngwana signifie « enfant » en langue sesotho, et la ngwana sehô est une représentation anthropomorphe à choyer comme son enfant. Ancienne de près de 200 ans et d’un éclat vivide si contemporain, ce vecteur de fécondité, d’abondance et de transmission est un réceptacle des intentions de concevoir la vie. Sa présence ici marque l’absence créée par la rupture de ce lien maternel, lors de sa captation en période coloniale.

Transmise de génération en génération dans la famille du missionnaire qui l’a emportée au milieu du 19e, siècle elle n’entre au musée qu’en 2021. C’est à la fois la pièce la plus récente et la plus ancienne dans l’installation. Elle représente autant la mémoire de la rupture, que l’espoir de la restauration du lien avec sa matrice d’origine.

Bansoa Sigam

Mamy Watta

Lafalaise Dion
Atelier Lafalaise Dion
Côte d’Ivoire
Coiffe de 476 cauris
Coquillage Monetaria Moneta, fil de pêche, perles, terre cuite
2019
Prêt de l’artiste

Mamy Watta, la mère des eaux, incarne la force divine qui régit les océans, source inépuisable de vie, de puissance et de fertilité. Issue de la première collection de Lafalaise Dion, cette création soigneusement assemblée à la main se compose de cauris, un coquillage aussi délicat que résistant, symbole d’ancestralité, de sacralité et d’abondance. En la couvant de ses franges, Mamy Watta se lie à l'histoire de Ngwana Sehô, symbolisant la puissance de la reconnexion avec ses racines maternelles.
Bansoa Sigam

Lafalaise Dion

Lafalaise Dion est le fruit du travail de Dion Dewand Marcia Lafalaise, une âme créative africaine/dan née et élevée en Côte d'Ivoire. S'inspirant de la tapisserie vibrante de son pays, en particulier de son éducation à Man, la ville aux 18 montagnes, Lafalaise Dion est imprégnée d'une culture qui favorise une profonde appréciation de la vie, de l'amour, de l'artisanat, des contes, des cultures indigènes, des traditions, de la transmission, de la guérison et de l'amour de soi.

Animée d'une vision irrésistible, Lafalaise Dion aspire à devenir un phare de la célébration culturelle et de l'autonomisation. Elle imagine un monde où l'artisanat, la spiritualité et l'amour de soi s'entremêlent harmonieusement, créant un espace où les individus peuvent renouer avec leur héritage et embrasser leur identité unique. Cette vision imprègne toutes les facettes du parcours de Lafalaise Dion, depuis sa création jusqu'à son impact profond sur les communautés à travers l'Afrique et au-delà.

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Ngwana sehô

Lesotho. 19e siècle.
Origine attribuée : Sesotho
Bois, fibres végétales, perles de verre, métal ?
Don en 2020 de Françoise de Morsier Heierli
Ancienne collection du pasteur Eugène Casalis
MEG Inv. ETHAF 068748

Mosebetsi Pheko, « Travail de guérison* »

Paloma Lukumbi dite D. Thoughts
Crédits : D. Thoughts (voix et textes, chékéré, tambours aquatiques ; fleuve Kwanza, Angola) accompagnée d’Adama Faye (tama, djembé, chékéré, percussions)
Enregistrements : Brazzaville Records, Genève
Production : Laurent Vonlanthen accompagné de Lucas Orias, Kitchen Studio, Genève
*traduit du sesotho d’après Mamaseko de Thabile Makue
Durée : 7 m. 19 s.
2023

Drapée par les noms de Befa, Mamotumi, Lila Lioto, Ramaleko, Mofieli, Mery Jane Molaka, Liemiso, Tlalane, Maghira, Emily Bangoane, Nkamoheng, Matcha, Somazembé et Ramabotsésé, cette composition sonore lance une invitation à communier avec des femmes dont la présence fait ici retentir des généalogies mises sous silence épistémique. Dans cet espace de contemplation, je commémore ces femmes entremêlant notamment les archives du MEG, des voix et des paysages sonores.
Paloma Lukumbi

Paloma Lukumbi

Paloma Lukumbi est d’origine Bakongo; de la région de Uige (actuellement sur le territoire Angolais) et Basque. Passionnée d’histoires en tous genres, elle obtient un bachelor en Langue et Littératures Anglaises et en Linguistique Générale, en 2010. Durant toute cette période, son regard était axé sur les manifestations littéraires dites post-coloniales, afro-américaines et queer. En tant que sonic poet, elle a aiguisé sa pratique artistique à travers le développement d’un genre qu’elle appelle le “docu-poème,” conjuguant voix et mots.

C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’elle a parcouru les Etats-Unis, s’intéressant plus particulièrement aux textures des voix de femmes noires, comme médium de transmission, telles que sont retranscrites à travers les musiques et les littératures dites noires. Plus tard, ça sera sa rencontre avec l’auteur Essex Hemphill et son ouvrage Ceremonies : Prose and Poetry que sa pratique prendra une tout autre tournure – notamment autour des questions de l’intime et le cérémonial (d’un point de vue épistémique mais surtout liminal). (Hemphill, Essex. Ceremonies : Prose and Poetry. A Plume Book (Penguins Book) : New York, 1992).

Elle terminera sa Maîtrise en littérature Anglaises en 2019, présentant simultanément son premier recueil de poèmes et un projet visuel nommé “Melanated” Futurism and Sonic Voices. (Projet combinant mes poèmes interprétés par moi-même et des artistes Afro-descendants ; produit par Samuel Chispa, Genève (2019).) Aujourd’hui, elle collabore sur différents projets créatifs, s’adonnant ponctuellement à l’édition / traduction mais aussi à la médiation culturelle.

REMEMBERED

La reconstitution partielle de mémoires à partir de quelques fragments d’archives matérielles et immatérielles n’est qu’un point de départ. Cette visibilisation, certes incomplète, vise à combler le trop–plein de vides historiques, à réparer la mémoire brisée, àcatalyser la reconstruction et les synergies transcontinentales. L’installation insiste sur la nécessité de se rappelerque chaque ornement présenté ici appartenait à une femme qui souvent l’avait porté et qui l’avait parfois conçu, seule ou en groupe. Les créatrices usaient de cauris ou de perles, de graines de mophete ou de fleurs de tsikitlane et assemblaient ces éléments végétaux en parures sacrées.

Hors de l’écosystème où ces ornements et vêtements servent à révéler et rehausser l’identité des porteuses dans le collectif, il est certes difficile de réellement appréhender tout leur sens. Il est toutefois possible de mettre en lumière et de se remémorer les femmes dont témoignent ces parures et créations.

Bansoa Sigam
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